Pourquoi mon intérêt pour l'opéra?
Pour le spectateur qui va à l’opéra, quel merveilleux spectacle lui est offert ! Il y trouve de quoi intéresser non seulement ses oreilles (la musique, le chant) mais aussi ses yeux (les décors, des corps incarnant des personnages notamment par les costumes). Mais parce que l’opéra est aussi un drame, une action ordonnée, parce que des paroles sont chantées, l’opéra s’adresse également à son esprit : le spectacle de l’opéra demande aussi un minimum d’intellection chez le spectateur. Tout cela ne fait-il pas d’ailleurs fusion pour lui ? Le spectacle qu’est par définition l’opéra n’assure-t-il pas une fusion des arts qui en ferait la haute valeur ?
Pour le spectateur qui va à l’opéra, quel merveilleux spectacle lui est offert ! Il y trouve de quoi intéresser non seulement ses oreilles (la musique, le chant) mais aussi ses yeux (les décors, des corps incarnant des personnages notamment par les costumes). Mais parce que l’opéra est aussi un drame, une action ordonnée, parce que des paroles sont chantées, l’opéra s’adresse également à son esprit : le spectacle de l’opéra demande aussi un minimum d’intellection chez le spectateur. Tout cela ne fait-il pas d’ailleurs fusion pour lui ? Le spectacle qu’est par définition l’opéra n’assure-t-il pas une fusion des arts qui en ferait la haute valeur ?
Rousseau, dans son Dictionnaire
de musique, propose un terme préférable au sujet de l’opéra qui assure
plutôt une alliance des
Beaux-arts : de la musique, de la poésie (dramatique), de la peinture (par
le moyen des décors). Ce terme d’« alliance » proposé par ce
philosophe également musicien nous semble pouvoir susciter indéfiniment la
réflexion voire inspirer la création lyrique et cela encore aujourd’hui, dans
la mesure où une alliance peut très bien mettre en présence des arts ou des
expressions artistiques où chacun est tenté
de tirer « la couverture à soi », de prendre une certaine marge
de manœuvre (nous sommes loin de l’idée de l’opéra comme art assurant la fusion
des arts dans un concours commun). S’il y a une alliance, à notre sens, c’est que l’unité n’est pas première, qu’elle
ne va pas de soi, qu’elle ne peut qu’être recherchée,
résultat d’une association plus ou moins convaincante, recherche jamais close,
toujours accompagnée d’un risque de débordement par les beautés somptueuses de
la voix chantée comme mobilisant jalousement l’intérêt du spectateur devenu
davantage auditeur. La musique, le
chant, le texte du livret, les décors, ces éléments du spectacle d’opéra sont moins des alliés qu’ils ne sont devenus des alliés. On les a en quelque
sorte contraints ou du moins invités, non sans réticences de leur part, à
servir un propos commun, celui d’émouvoir le spectateur.
L’opéra semble assurer cette mise en alliance des
différents arts mais ce que l’esthéticien penseur de l’art doit effectuer, on
s’en rend compte, c’est plutôt une prise de conscience que cette alliance ne va
pas de soi. Un art peut très bien l’emporter sur l’autre ou être tenté de le faire. On pourra être frappé
du fait que nous avons distingué la musique du chant. Le chant demeure de la
musique dira-t-on. Le chant cependant n’est pas n’importe quelle
« musique » ou, mieux, ne donne pas lieu à n’importe quelle musique,
car il mobilise cet instrument qu’est la voix humaine reconnue immédiatement
comme telle par le spectateur. Le spectacle de l’opéra peut très bien faire en
sorte – et cela a été le cas dans l’histoire de l’opéra – que la voix du
chanteur devienne un élément prédominant du spectacle. Le bel canto haendélien par exemple permet à la voix chantée une large
marge de manœuvre. Le drame chez Haendel permet bien une évolution
psychologique des personnages exprimant leurs sentiments du moment : mais
l’on n’est pas dupe, les arias de Haendel permettent largement au chanteur de
faire valoir sa voix pour ses beautés propres. Cela certes dans un lien avec le
drame et le personnage incarné, mais tout s’y passe comme si la voix – virtuose
– y cherchait une voie d’émancipation (par les vocalises, les mélismes…) loin
d’un asservissement strict au drame. En revanche, à d’autres périodes de
l’histoire de l’opéra et du spectacle lyrique, l’on peut demander à la voix le
respect plus strict du drame, dans un certain sens de ne pas trop chanter, de ne pas donner à la voix chantée une marge
de manœuvre telle qu’elle risque de charmer le spectateur pour ses beautés
propres. Ainsi nous apparaît la tragédie lyrique française (XVII-XVIIIème
siècle), avec l’importance de ses récitatifs, opéra où les airs montrent
toujours un respect de l’action dans une mise en dépendance du chant et de la
voix chantée avec la déclamation…
L’histoire de l’opéra et des différents genres lyriques – ou
propositions dramatiques où la voix lyrique est requise – nous semble par
conséquent témoigner de ce que nous appelons diverses voies d’Orphée. Loin d’assurer une fusion des arts, l’opéra et les autres genres lyriques assurent une
alliance entre les arts et les
expressions artistiques, alliance qui dans sa composition n’est jamais donnée
une fois pour toutes mais qui repose sur une recherche d’association où l’un des arts peut l’emporter en quelque
mesure sur l’autre, manière d’explorer diverses voies.
*
Les spectacles lyriques que je propose
Mes préoccupations ne sont pas seulement théoriques, elles se joignent aussi à des préoccupations pratiques. Esthéticien, je suis aussi praticien de la musique : chanteur et « librettiste », concepteur de spectacles. J'ai proposé au public notamment Rideau !, De Vuelta, Eros adouci, des spectacles qui, sans être des opéras en tant que tels, se placent sous l’influence de l’opéra, dialoguent avec lui, requièrent la voix lyrique (ou au moins des voix travaillées d’après ses critères). Au moment de concevoir un spectacle requérant la voix et le chant lyriques, le problème pour moi demeure le même et je ne fais que proposer des solutions, des solutions de mise en équilibre, de mise en co-présence (temporaires, critiquables, non-définitives, adaptées aux circonstances, qui ont leur part de facultatif [Nietzsche]). Aucun de ces spectacles ne permet à la voix chantée – pourtant indispensablement requise pour ses charmes et son mérite expressif – d’être continument présente. Après tout, s’il s’agit d’assurer une présence du drame, pourquoi la voix parlée ne suffirait-elle pas ? Pourquoi chanter tout le temps ? Trop de chant ne tue-t-il pas le chant ? Et la voix parlée, dans ses nuances expressives, ne possède-t-elle pas un charme propre, une musicalité propre (une « musique » hors de la musique en tant qu'art) qu’on serait en droit de faire valoir entre les moments chantés du drame ? Et si le texte peut avoir une beauté propre pour sa poésie, ne faudrait-il pas éviter de le trop chanter ? Un spectacle dans telle ou telle langue donnée – en langue française ou en espagnol – ne requerrait-il pas aussi des options lyriques différentes ? Quelle place également pour la danse dont nous n’avons pas encore parlé ? Quelle place lui donner pour que, tout en ayant ses charmes, elle ne soit pas un simple agrément du spectacle ?
Mes préoccupations ne sont pas seulement théoriques, elles se joignent aussi à des préoccupations pratiques. Esthéticien, je suis aussi praticien de la musique : chanteur et « librettiste », concepteur de spectacles. J'ai proposé au public notamment Rideau !, De Vuelta, Eros adouci, des spectacles qui, sans être des opéras en tant que tels, se placent sous l’influence de l’opéra, dialoguent avec lui, requièrent la voix lyrique (ou au moins des voix travaillées d’après ses critères). Au moment de concevoir un spectacle requérant la voix et le chant lyriques, le problème pour moi demeure le même et je ne fais que proposer des solutions, des solutions de mise en équilibre, de mise en co-présence (temporaires, critiquables, non-définitives, adaptées aux circonstances, qui ont leur part de facultatif [Nietzsche]). Aucun de ces spectacles ne permet à la voix chantée – pourtant indispensablement requise pour ses charmes et son mérite expressif – d’être continument présente. Après tout, s’il s’agit d’assurer une présence du drame, pourquoi la voix parlée ne suffirait-elle pas ? Pourquoi chanter tout le temps ? Trop de chant ne tue-t-il pas le chant ? Et la voix parlée, dans ses nuances expressives, ne possède-t-elle pas un charme propre, une musicalité propre (une « musique » hors de la musique en tant qu'art) qu’on serait en droit de faire valoir entre les moments chantés du drame ? Et si le texte peut avoir une beauté propre pour sa poésie, ne faudrait-il pas éviter de le trop chanter ? Un spectacle dans telle ou telle langue donnée – en langue française ou en espagnol – ne requerrait-il pas aussi des options lyriques différentes ? Quelle place également pour la danse dont nous n’avons pas encore parlé ? Quelle place lui donner pour que, tout en ayant ses charmes, elle ne soit pas un simple agrément du spectacle ?
Mes propositions lyriques ne se veulent pas radicalement
novatrices – elles dérivent d’une réflexion sur l’histoire de l’opéra, d’un
dialogue avec certains de ses principaux penseurs. Oui, le chant lyrique doit,
à certains moments du spectacle lyrique, assurer sa jouissive prédominance.
Mais à mes yeux, le théâtre et le chant ne peuvent être associés pour chaque
spectacle que si l’on propose le dosage bien
réfléchi accordé entre la musique, le chant, le texte associés au drame. Mes
« drames lyriques », ou plutôt les drames mobilisant la voix et le
chant lyriques tels que nous les proposons assurent non une abolition des
frontières des arts mais une co-présence d’alliés qui peuvent aussi, à bon
droit, faire valoir leurs mérites respectifs. J'espère, par mes spectacles,
faire profiter l’auditeur-spectateur de plaisirs associés, l’émouvoir également
ou plutôt, dans une perspective méritant d’être creusée, lui faire sentir l’âme de mes personnages dans ses fibres mêmes (point unitaire de
mes préoccupations, il est vrai), et,
par mes articles et écrits lui donner le prolongement du plaisir de la pensée
face à un spectacle qui en quelque sorte se justifie.
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