mardi 7 juillet 2015

Texte d'Eros adouci - oeuvre pour piano et récitante - création le 3 juillet 15 - Possibilité de commander le texte complet en envoyant un mail à laurent.bernat@gmail.com

Récitante – Françoise Audoin

Piano – Stephan Céroi
Composition originale pour le piano – Abel Loterstein

Chant, texte – Laurent Bernat
Canevas du spectacle : F. A., S. C, L. B., A. L.


 * * *

 

Vous qui entrez sur le chemin d'Eros, vous auriez tellement raison de me craindre!

Vous vous trouvez devant moi Eros et tenez malgré tout à ce que je sois votre maître !? Je vous vois tout naïfs, tout appâtés par ce désir qui vous tenaille et qui semble vous promettre les plus intenses voluptés! Vous croyez que vous obtiendrez tout, tout de suite ! Vous croyez que votre soif s'apaisera aisément. Vous avez le cœur gros d'être appréciés. Vous vous jetez à cœurs et à corps perdus dans la pitoyable mêlée des chairs qui cuisent et aspirent à se frotter les unes aux autres! Vous croyez pouvoir vous repaître vite dans vos aspirations profondes mais qu'en fait vous connaissez si mal.

 Vous venez en fait vers moi comme des proies faciles, stupides en vos illusions. Vous verrez, je vous donnerai le tournis. Eros vous prévient: vous y laisserez quelques plumes!

 Non? Non? Ces avertissements ne servent de rien! Vous insistez pour entrer en mon chemin. Et bien venez. Je vais vous cajoler moi, je vais vous placer sous mon aile, je vous donnerai votre pâture... Mais mes leçons seront les plus cuisantes d'entre toutes. Vous n'apprendrez que par mille déceptions qui vous donneront l'impression de perdre pied. Votre désir choquera mille fois la paroi dure et froide de la réalité. Vous croirez mille fois avoir trouvé chaussure à votre pied mais, autant de fois, la déception vous rattrapera. Même ayant perdu mille fois la face, vous voudrez encore m'emprunter de ma chaleur! Vous irez jusqu'à mendier un peu d'amour réciproque. Sachez-le : je n'en aurais pas fini tant que je ne parviendrai pas à effacer en vous toute trace d'orgueil - je vous humilierai!

 Alors c'est plus fort que vous! Il faut donc vous laisser entrer en mon chemin. Ce ne sera pas faute de vous avoir dit que vous auriez bien eu raison de me craindre!


J’accuse Eros


J’accuse Eros ! Si je l’avais là sous mes yeux, si mes mains pouvaient l’étreindre de ma colère, je jure qu’il ne résisterait pas à ma rage. Oui, c’est lui qui m’a fait quitter ma chambre où j’étais heureux, où je méditais et me livrais à de paisibles introspections, où ma curiosité n’était que pour les choses de la connaissance ! Il m’a fait quitter ma vie de philosophe qui me convenait tant.

Il m’a fait aller sur la grand route des rencontres, cette route desséchante, où brillent d’illusoires séductions. Route immense où l’on s’abreuve quelques fois mais sans que la soif soit vraiment étanchée. Suprême illusion de ce chemin : nul apaisement n’y vient de ce qu’on croit pouvoir apaiser !

Il m’a fait aller me frotter pitoyablement aux autres, réclamer la maigre pitance de « satisfactions » éphémères et fortuites. Semi-contentements, satisfactions amères !

Il m’a fait entrer dans cet antagonisme incessant des désirs des amants. Il m’a fait entrer dans la concurrence des chairs où chacun, surenchérissant sur l’autre, se rend attrayant… Il m’a fait voir l’affligeant spectacle de ceux qui se croient suffisamment séduisants pour qu’on ne fasse que les conquérir ; mais qui attendent vainement d’être séduits – piège étonnant de Narcisse !

Mais il ne lui a pas suffi pour se moquer de moi – lui si avide de cuisantes épreuves – de me faire spectateur, il a rendu nécessaire que je me fasse chasseur ou proie : de cette sorte de chasseur qui doit attirer sa proie, de cette sorte de proie contrainte de s’arranger pour être poursuivie ! Mais quelle est cette lutte qui pourtant n’est pas sanglante ?!

J’enrage contre toi Eros ! Rends-moi ma liberté, je ne veux d’autre élan que celui du philosophe envers la connaissance ! Rends-moi à moi-même, Eros ! Depuis que je t’ai ouvert ma porte, ma vie est remplie de calamités ! 

 

Beau chasseur à l’affût


Beau chasseur à l’affût, où vas-tu ? Je m’étonne de te voir courir en tout sens ! Que cherches-tu ? Crois-tu qu’il te sera favorable de croiser sans cesse ton regard avec celui de tous les beaux yeux qui t’environnent ? Crois-tu que tu forceras Eros par la multiplication de tes cibles ?

Dans tes allées et venues, dans tes approximations répétées, tu risques de te trouver… face à toi-même – dans un cuisant échec !

Mais comment séduire, comment attirer Eros quand on est un jeune homme inexpérimenté qui rentre sur la route du monde et celle, croisée, d’Eros ? On a d’abord un désir qui nous jette à tout va, sans économie, sans guère d’efficacité non plus !… On est dans un Eros dépensier !

Tu parviens il est vrai à quelques prises de regards, fugaces ; mais en fin de compte, tu n’auras rien à te mettre sous la dent.
Toutes ces heures, ces journées perdues en vains efforts de conquête ! Tous ces efforts répétés pour se proposer à l’amour.

Et pourtant ton corps est au faîte de sa beauté sensuelle ! Tu désires à ce point aimer – ça veut couler en toutes direction – que tu ne sais point aimer.

Aussi passes-tu du vif désir de conquête au découragement qui t’inquiète sur toi-même. Quelle tristesse que nos défaites de séducteur inexpérimenté soient interprétées par nous comme un manque de mérite !

 

Mais rassure-toi et, s’il est possible encore, prends patience. Les grandes manœuvres d’un chasseur à découvert éloignent assurément les proies. Eros, qui t’a fait violemment courir les cœurs, pourrait te recommander : « Ne cherche pas à séduire. Inutile de durcir la volonté. Ne force par l’entreprise mais vis et séduis, mais séduis comme tu es, comme tu vis ! Oui, comprends cela et suis ces conseils ! Tu les verras plus prometteurs… »


 

Beau fruit de tes baisers


Je déguste ce fruit si sucré, ce fruit qui comme tant d’autres encore pousse en mes jardins, où je dépose mes secrète intentions – il me rappelle nos baisers. Il y a là une saveur et une certaine consistance si plaisantes !

Rapproche-toi et permets en la vérification. Oui, tes lèvres procurent un plaisir bien semblable, elles éveillent une soif qui s’affolera de vouloir être étanchée !

Ce baiser que nous nous étions donnés.


Ce baiser que nous nous étions donnés, je le retrouve dans nos étreintes d’Eros. Mieux, nos étreintes ne sont pas autre chose que ce baiser d’une extrême douceur !^

Ce baiser et ses œuvres


Ce baiser que je viens de te donner à la pointe du jour suspend pour un temps l’intensité de notre présence l’un avec l’autre. Je pars donc œuvrer là où le monde l’impose mais je serai, tout au long du jour, tension vers cet autre baiser qui rejoindra avec toi la fin du jour. Je veux que ce baiser matinal hante toutes mes activités. Oui ! Il œuvrera au long du jour et sera relayé par le désir d’agir et de connaître, il se fraiera à sa manière un chemin dans mes activités leur communiquant sa vive tension. Oui, que la tension vitale d’Eros se propage entière à toutes mes activités !

 

Ode à ton odeur


Laisse-moi faire une ode à ton odeur ! Serai-je d’ailleurs capable à la fois de penser ça – ton odeur ! – et même de la chanter ?

Mais ton odeur, c’est toi ! Elle se confond avec toi. Pour te reconnaître, elle me suffirait. Encore que ta voix aussi est une marque individuelle mais l’odeur me semble plus subtile. La conscience n’a pas l’habitude de s’y rapporter, il faut dresser l’attention pour qu’elle se fixe sur elle. Que je veux, en ce moment, n’être que mon nez, tout entier à la sensation de ton odeur ! Que je veux pouvoir me détourner de tout autre attrait sensible et de tout autre intérêt en ce monde pour me fixer sur ton odeur ! Que j’aimerais pouvoir garder, conserver, toujours disponible ton odeur ! En faire un parfum, oui, toujours disponible, en un flacon toujours à portée de la main ! J’aimerais aussi être capable d’une description de ton odeur – expliquer aussi pourquoi elle tient de toi – une description qui donnerait presque le sentiment de tenir ton odeur, de te tenir toi !

Oui, malgré le défi qu’elle représente pour moi, je veux faire une ode à ton odeur !

 

Endormi dans mes bras


Tu t’endors dans mes bras, tu glisses vers un « ailleurs » dont tu ne peux pas rendre compte pour moi, et dans ce glissement de ton être, dont je ne me suis rendu compte que tardivement, je veux pourtant encore m’occuper de « toi ». Je caresse encore ton corps alourdi, toi à l’esprit à présent détaché des peines du jour. En caressant ta tête, je me persuade probablement à raison que « tu » profites de mes caresses. Ton corps s’en détend. Et, peut-être, ton esprit se figure des rêves où l’aise que « tu » trouves par mes caresses y a des effets. Peut-être es-tu pris dans un rêve plus plaisant qu’il n’aurait été si je n’avais songé à prolonger mes caresses alors même que tu es abandonné à Morphée. M’occuper de toi ne serait-ce donc pas aussi ne pas négliger ta vie des songes ?

[La vie subjective – ô combien riche – ne s’arrête point à la vie consciente de celui qui veille. Elle continue lors du sommeil au moins par le fait que le sujet connaît des représentations, est assailli d’angoisses, d’espérances, de plaisirs... Il continue d’être affecté. Se forme pour le dormeur des images ô combien significatives. Et si la voie d’Eros est l’expérience que je fais d’un sujet autre et l’occasion d’apprendre de cette confrontation, l’amant ne sera pas indifférent à la richesse et à la profondeur de la vie subjective de l’aimé, qui fait que même dormant il l’intéresse !]


Boire un café avec toi


 

Boire un café avec toi…et puis en boire encore par après. Le boire au lever du jour comme réponse à l’appel de ce dernier à participer à sa fête. Siroter à petite goulées le précieux liquide avec toi qui viens du pays du café. Vouloir n’être qu’au goût du café. Sentir aussi la petite excitation montante. Reproduire ainsi comme un rituel, effectuer une répétition qui semble rendre l’infini disponible sans poids du temps. Sentir une complicité dans ce moment qui est le nôtre.

 

La voix, ta voix

  
Ta voix est travaillée par l’amour.
Tu dis, tu cries ton plaisir : ainsi tu le redoubles.

Dire le plaisir, c’est faire qu’il se maintienne, se prolonge.
Ta voix est modifiée par l’amour
Plus granuleuse que de coutume
Les sons s’écoulent de ta bouche
Que je veux rejoindre par la mienne.
Dans l’amour, je suis aussi oreille,
Ecouter ton transport attise mon désir.
Serait-ce que je désire ton désir même ?


Déroidissement


Estime l’amour comme un bienfaiteur du corps.
Il le met en tension, affole le désir,
Porte l’intérêt bien au-delà de nous-mêmes.

Il le conduit vers la plus haute des jouissances,

Le mène ensuite à une torpeur voluptueuse :
Son repos célébrant comme une réconciliation.

Rappelle à ton souvenir tous ces corps roidis :
Sublimer le désir, l’estimer secondaire,

Le vouloir contrôler - comme s’il s’agissait
D’un ennemi qui ne doit pas nous déborder !

- Cela les a menés à un piteux état :
Dans lequel, rétractés, ils refusent le monde.

Imagine à présent ces corps rendus à Eros.
Leur jouissance est si violente qu’en profondeur

Elle desserre les nœuds de tant de peines.
Approuve ces corps paisibles enfin sans armes !

Envie leurs rêves qui vont bientôt œuvrer au compte
Du plaisir vainqueur, diffusant loin son écho.

Estime l’amour comme un bienfaiteur du corps
Qui célèbre la vie sans souci de la mort !

Laurent Bernat - Texte protégé SACD
 

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