Piano – Stephan Céroi
Composition originale pour le piano – Abel
Loterstein
Chant, texte – Laurent Bernat
Canevas du spectacle : F. A., S. C, L. B., A.
L.
Vous qui
entrez sur le chemin d'Eros, vous auriez tellement raison de me craindre!
Vous vous
trouvez devant moi Eros et tenez malgré tout à ce que je sois votre
maître !? Je vous vois tout naïfs, tout appâtés par ce désir qui vous
tenaille et qui semble vous promettre les plus intenses voluptés!
Vous croyez que vous obtiendrez tout, tout de suite ! Vous croyez que
votre soif s'apaisera aisément. Vous avez le cœur gros d'être appréciés.
Vous vous jetez à cœurs et à corps perdus dans la pitoyable mêlée des
chairs qui cuisent et aspirent à se frotter les unes aux autres! Vous
croyez pouvoir vous repaître vite dans vos aspirations profondes mais qu'en
fait vous connaissez si mal.
Vous
venez en fait vers moi comme des proies faciles, stupides en vos
illusions. Vous verrez, je vous donnerai le tournis. Eros vous prévient: vous
y laisserez quelques plumes!
Non? Non?
Ces avertissements ne servent de rien! Vous insistez pour entrer en mon chemin.
Et bien venez. Je vais vous cajoler moi, je vais vous placer sous mon
aile, je vous donnerai votre pâture... Mais mes leçons seront les plus
cuisantes d'entre toutes. Vous n'apprendrez que par mille déceptions qui vous
donneront l'impression de perdre pied. Votre désir choquera mille fois la
paroi dure et froide de la réalité. Vous croirez mille fois avoir trouvé
chaussure à votre pied mais, autant de fois, la déception vous rattrapera. Même
ayant perdu mille fois la face, vous voudrez encore m'emprunter de ma
chaleur! Vous irez jusqu'à mendier un peu d'amour réciproque. Sachez-le :
je n'en aurais pas fini tant que je ne parviendrai pas à effacer en vous toute
trace d'orgueil - je vous humilierai!
Alors
c'est plus fort que vous! Il faut donc vous laisser entrer en mon chemin.
Ce ne sera pas faute de vous avoir dit que vous auriez bien eu raison de me
craindre!
J’accuse Eros
J’accuse Eros ! Si je l’avais là sous mes yeux, si mes mains pouvaient
l’étreindre de ma colère, je jure qu’il ne résisterait pas à ma rage. Oui,
c’est lui qui m’a fait quitter ma chambre où j’étais heureux, où je méditais et
me livrais à de paisibles introspections, où ma curiosité n’était que pour les
choses de la connaissance ! Il m’a fait quitter ma vie de philosophe qui
me convenait tant.
Il m’a fait
aller sur la grand route des rencontres, cette route desséchante, où brillent
d’illusoires séductions. Route immense où l’on s’abreuve quelques fois mais
sans que la soif soit vraiment étanchée. Suprême illusion de ce chemin :
nul apaisement n’y vient de ce qu’on croit pouvoir apaiser !
Il m’a fait
aller me frotter pitoyablement aux autres, réclamer la maigre pitance de
« satisfactions » éphémères et fortuites. Semi-contentements,
satisfactions amères !
Il m’a fait
entrer dans cet antagonisme incessant des désirs des amants. Il m’a fait entrer
dans la concurrence des chairs où chacun, surenchérissant sur l’autre, se rend
attrayant… Il m’a fait voir l’affligeant spectacle de ceux qui se croient
suffisamment séduisants pour qu’on ne fasse que les conquérir ; mais qui
attendent vainement d’être séduits – piège étonnant de Narcisse !
Mais il ne lui
a pas suffi pour se moquer de moi – lui si avide de cuisantes épreuves – de me
faire spectateur, il a rendu nécessaire que je me fasse chasseur ou
proie : de cette sorte de chasseur qui doit attirer sa proie, de cette
sorte de proie contrainte de s’arranger pour être poursuivie ! Mais quelle
est cette lutte qui pourtant n’est pas sanglante ?!
J’enrage contre
toi Eros ! Rends-moi ma liberté, je ne veux d’autre élan que celui du
philosophe envers la connaissance ! Rends-moi à moi-même, Eros !
Depuis que je t’ai ouvert ma porte, ma vie est remplie de calamités !
Beau chasseur
à l’affût
Beau fruit de tes baisers
Je déguste ce
fruit si sucré, ce fruit qui comme tant d’autres encore pousse en mes jardins,
où je dépose mes secrète intentions – il me rappelle nos baisers. Il y a là une
saveur et une certaine consistance si plaisantes !
Rapproche-toi
et permets en la vérification. Oui, tes lèvres procurent un plaisir bien
semblable, elles éveillent une soif qui s’affolera de vouloir être
étanchée !
Ce baiser que nous nous étions donnés.
Ce baiser que
nous nous étions donnés, je le retrouve dans nos étreintes d’Eros. Mieux, nos
étreintes ne sont pas autre chose que ce baiser d’une extrême douceur !^
Ce baiser et ses œuvres
Ce baiser que
je viens de te donner à la pointe du jour suspend pour un temps l’intensité de
notre présence l’un avec l’autre. Je pars donc œuvrer là où le monde l’impose
mais je serai, tout au long du jour, tension vers cet autre baiser qui
rejoindra avec toi la fin du jour. Je veux que ce baiser matinal hante toutes
mes activités. Oui ! Il œuvrera au long du jour et sera relayé par le
désir d’agir et de connaître, il se fraiera à sa manière un chemin dans mes
activités leur communiquant sa vive tension. Oui, que la tension vitale d’Eros
se propage entière à toutes mes activités !
Ode à ton odeur
Laisse-moi
faire une ode à ton odeur ! Serai-je d’ailleurs capable à la fois de
penser ça – ton odeur ! – et même de la chanter ?
Mais ton odeur,
c’est toi ! Elle se confond avec toi. Pour te reconnaître, elle me
suffirait. Encore que ta voix aussi est une marque individuelle mais l’odeur me
semble plus subtile. La conscience n’a pas l’habitude de s’y rapporter, il faut
dresser l’attention pour qu’elle se fixe sur elle. Que je veux, en ce moment,
n’être que mon nez, tout entier à la sensation de ton odeur ! Que je veux
pouvoir me détourner de tout autre attrait sensible et de tout autre intérêt en
ce monde pour me fixer sur ton odeur ! Que j’aimerais pouvoir garder,
conserver, toujours disponible ton odeur ! En faire un parfum, oui,
toujours disponible, en un flacon toujours à portée de la main !
J’aimerais aussi être capable d’une description de ton odeur – expliquer aussi
pourquoi elle tient de toi – une description qui donnerait presque le sentiment
de tenir ton odeur, de te tenir toi !
Oui, malgré le
défi qu’elle représente pour moi, je veux faire une ode à ton odeur !
Endormi dans mes bras
[La vie
subjective – ô combien riche – ne s’arrête point à la vie consciente de celui
qui veille. Elle continue lors du sommeil au moins par le fait que le sujet
connaît des représentations, est assailli d’angoisses, d’espérances, de plaisirs...
Il continue d’être affecté. Se forme pour le dormeur des images ô combien
significatives. Et si la voie d’Eros est l’expérience que je fais d’un sujet autre
et l’occasion d’apprendre de cette confrontation, l’amant ne sera pas
indifférent à la richesse et à la profondeur de la vie subjective de l’aimé,
qui fait que même dormant il l’intéresse !]
Boire un café avec toi
Boire un café
avec toi…et puis en boire encore par après. Le boire au lever du jour comme
réponse à l’appel de ce dernier à participer à sa fête. Siroter à petite
goulées le précieux liquide avec toi qui viens du pays du café. Vouloir n’être
qu’au goût du café. Sentir aussi la petite excitation montante. Reproduire
ainsi comme un rituel, effectuer une répétition qui semble rendre l’infini
disponible sans poids du temps. Sentir une complicité dans ce moment qui est le
nôtre.
La voix, ta
voix
Ta voix est travaillée par l’amour.
Tu dis, tu cries ton plaisir : ainsi tu le redoubles.
Dire le plaisir, c’est faire qu’il se maintienne, se prolonge.
Ta voix est modifiée par l’amour
Plus granuleuse que de coutume
Les sons s’écoulent de ta bouche
Que je veux rejoindre par la mienne.
Dans l’amour, je suis aussi oreille,
Ecouter ton transport attise mon désir.
Serait-ce que je désire ton désir même ?
Déroidissement
Estime l’amour
comme un bienfaiteur du corps.
Il le met en
tension, affole le désir,
Porte l’intérêt
bien au-delà de nous-mêmes.Il le conduit vers la plus haute des jouissances,
Le mène ensuite
à une torpeur voluptueuse :
Son repos
célébrant comme une réconciliation.
Rappelle à ton
souvenir tous ces corps roidis :
Sublimer le
désir, l’estimer secondaire,
Le vouloir
contrôler - comme s’il s’agissait
D’un ennemi qui
ne doit pas nous déborder !
- Cela les a menés à un piteux état :
Dans lequel,
rétractés, ils refusent le monde.
Imagine à
présent ces corps rendus à Eros.
Leur jouissance
est si violente qu’en profondeur
Elle desserre
les nœuds de tant de peines.
Approuve ces
corps paisibles enfin sans armes !
Envie leurs
rêves qui vont bientôt œuvrer au compte
Du plaisir
vainqueur, diffusant loin son écho.
Estime l’amour
comme un bienfaiteur du corps
Qui célèbre la
vie sans souci de la mort !
Laurent Bernat - Texte protégé SACD
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